A Tunis, ; Alger ou Marrakech, le révolution sexuelle tarde à venir. Et vu les convulsions de la région sur pratiquement tous les plans (politique, religieux, social, culturel), ce n’est pas pour demain la veille. En effet, les choses changent au Maghreb, très rapidement , mais avec des hauts et des bas, des avancées et des reculs.
Sur le plan de l’amour au sens le plus large du terme, d’énormes acquis, indéniables. Mais à l’autre bout de la société, des couches entières de la population ont été gagnées par le conservatisme sous la forme d’adhésions massive à ce que l’on appelle l’islam radical ou le fondamentalisme musulman : un islam rigoriste, sévère, plein d’interdictions, notamment concernant l’amour, la façon de s’habiller pour les femmes et de pratiquer obligatoirement les rituels musulmans (les cinq piliers de l’Islam). Pour les femmes, les hommes et même les enfants !
Alors, d’un côté une société qui cherche à s’émanciper, gagner des libertés surtout concernant les femmes et à se débarrasser des archaïsmes religieux, sociaux et culturels qui freine l’évolution de ces pays. De l’autre, une société frileuse, arc-boutée sur elle-même, ne pouvant envisager l’avenir sans le fatras encombrant des traditions et de la religion sous ses aspects les plus durs.
Cette dernière n’est bien sûr pas prête à laisser l’amour éclore librement, les femmes prendre toute leur place dans la société, encourager le savoir, l’art sous toutes ses formes etc…
Conclusion, on a affaire depuis les indépendances de ces pays à une lutte continue entre les deux tendances ; tantôt c’est les « progressistes » qui l’emportent en faisant avancer les choses, tantôt c’est les conservateurs qui ont le dessus, ils freinent alors, abolissent, interdisent et impose de nouvelles lois pour maintenir l’ordre qui leur convient.

Parler de l’amour et de la sexualité au Maghreb

c’est oser défier le conservatisme religieux, le machisme ; défier les tabous et les interdits. Et c’est là que la poésie orale, puis la chansons rentrent dans la danse, pour jouer les perturbateurs, mieux qu’un discours politique contestataire.. Car le discours s’adresse à la raison tandis que la chanson sulfureuse, franche , directe , parlant d’amour et de sexe ouvertement, elle, s’adresse aux « tripes », réveille les fantasmes et les désirs, pousse à la révolte !!!
De tous les chants maghrébins « contestataires », le raï est le plus virulent, le plus choquant et le plus audacieux car il s’attaque à un gros problème, tabou, interdit, fortement réglementé : la sexualité, exprimée en termes crus, sans les pirouettes, les clins d’œil et les allusions des chansons classiques non sans une forme d’hypocrisie.

La chanson raï

De toutes les chanteuses de raï, la Cheikha Rimitti est incontestablement la plus connues, la plus audacieuse, la plus provocatrice et probablementr la plus ancienne, certains lui attribuant carrément l’invention de ce genre musical et de chansons.
Elle a enregistré son premier disque en 1936 chez Pathé. Pauvre et orpheline, pas encore connue, elle faisait les mariages, chantant toute seule avec son bendir à la main… En 1954, sa chanson à succès : « cherrak, guettaa » (lacère et déchire) où elle pourfend en termes crus le tabou-mythe de la virginité.
Sa voix rauque, presque masculine impressionne les femme et les hommes, à l’instar dune autre chanteuse, Cheikha Djeniya (la Démoniaque) ou Zahouaniya (la Joyeuse). Et rend les propos encore plus corsés. Cheikha Rimitti porte la parole des femmes sur le terrain des amours libres.

Dans une Algérie encore sous le choc de la colonisation et de la guerre d’indépendance, cette Oranaise sulfureuse et provocatrice agace les nerfs et se met contre elle toutes les couches conservatrices. Dents en or, les yeux alourdis de K’holl,, cheveux teints au hénné, Rimitti, avec sa voix rauque exprime toutes les souffrances silencieuses des femmes, ainsi que leurs joies et leurs espoirs. Elle est le porte-parole d’une révolte sourde, apolitique, celle des femmes qui désirent être maîtresses de leurs corps et de leurs destins.

Faire éclore le désir

Dans une société où l’essentiel des désirs, surtout sexuels est violemment refoulé, le raï vient libérer les fantasmes, faire éclore le désir, faire rêver le temps d’une soirée en chansons.

La chanson féminine kabyle, revendicative mais tout en douceur

Les femmes de Kabylie, ont toujours participé activement à cette vieille tradition orale que constituent la poésie et/ou la chanson.
Il s’agit de productions « littéraires » orales, et versifiées en l’occurrence ici, émanant du monde rural féminin, qui sont mise en chansons, d’abord « a cappella », puis avec accompagnement musical.
Cependant les femmes kabyles chantent plutôt l’exil de l’être aimé et son éloignement, le rejet par l’homme des offres d’amour prodigués par des femmes et donc le côté humiliant, douloureux. Les chansons privilégient aussi la beauté féminine, avec des femmes décrites avec tant de précisions qu’on en deviendrait amoureux par procuration !
La chanson contestataire kabyle va se frayer son propre chemin, par la voix d’hommes résolument opposés au pouvoir, loin des thèmes de l’amour, avec des sujets clairement politiques. C’est comme si le sexe et la politique ne pouvaient pas faire bon ménage…

Place de la poésie féminine dans la tradition orale

La femme, bien que rendue inférieure dans une société dominée par les hommes est largement présente dans la production de poésie orale ou écrite. La mère possède un rôle important au centre de la famille avec une autorité incontestable dans l’espace domestique. Héritières du patrimoine culturel oral, mais aussi dans le domaine de l’artisanat et des arts traditionnels, les femmes tissent petit à petit une toile complexe où chaque membre de la société peut se retrouver et se reconnaître…
Les poèmes et les chants féminins, notamment dans la culture berbère, ne sont pas subversifs, contestataires ; les femmes n’utilisent pas leurs talents oratoires ou leurs chants comme une arme ; non, elles les utilisent pour exprimer leurs peines ou celles des autres, pour implorer Dieu, et soulager leur âme et conscience.
Quand les femmes berbères chantent l’amour, c’est toujours en termes feutrés, pudiques, beaux, jamais vulgaires ou choquants. L’amour dans sa dimension sexuelle, érotique est plutôt exprimé par la danse. C’est là que la femme berbère « se lâche » laisse libre cours à son corps pour exprimer le désir et faire naître l’envie, réveiller l’appétit de ceux qui la regardent faire.

L’érotisme chanté … à mots couverts !

Le cas de la chanson « ya bellaredj »

Longtemps cette chanson est passée parmi tant d’autres sans que personne ne trouve à redire.
Appréciée même pour les paroles mystérieuses de son refrain et son air en hawzi (genre particulier de musique citadine, proche de la musique classique andalouse). La chanson devient définitivement célèbre (un tube, dirait-on aujourd’hui) quand la grande Fadéla Dziria décide de l’interpréter à son tour.
Mais peu à peu, des rumeurs commencent à circuler, notamment après l’indépendance algérienne : les paroles de la chanson Ya bellaredj ne seraient pas aussi innocentes que ça, surtout celles du refrain. Il suffit de les interpréter différemment, de les traduire autrement pour vite découvrir qu’elles cachent une réalité moins poétique, plus crue, loin de l’amour platonique, plutôt proches de l’érotisme !
Lorsque les fondamentalistes islamistes ont faillit arriver au pouvoir, cette chanson a même été interdite quelques temps, puis avec l’échec du mouvement islamiste, elle est revenue sur les ondes et à la télé, avec de nouveaux interprètes et une orchestration plus moderne.
Nous ne trancherons pas quand à la possible interprétation des paroles cachant un érotisme tabou ; ni dans un sens ni dans l’autre. Nous laissons les lecteurs juger d’eux-mêmes en proposant cette vidéo où la chanson est interprétée avec brio par Inel Nafai et suivie par le texte arabe écrit en phonétique et traduit en Français. Précisons que nous avons choisi cette version parce que la traduction nous paru bonne.