Mettre des enfants au monde, entre traditions, plaisir et devoir religieux

La période pré-natale dans le maghreb et la culture arabo-musulmane

La natalité, dans l’ensemble du monde arabo-musulman est considérée comme une bénédiction divine. Le Maghreb, avec ses traditions berbères préislamiques, n’échappe pas à la règle. Pour la mère, surtout si elle est primipare, c’est le moment le plus important de sa vie. Pour son entourage aussi. Toute la famille, restreinte et élargie est concernée par l’heureux événement.
L’accouchement en lui-même n’est que l’aboutissement d’une longue période de préparation psychologique et matérielle de la mère. Les longs mois de gestation, quand la grossesse se passe normalement, provoquent chez la femme enceinte des comportements nouveaux, complexes et souvent imprévisibles. Cet état est connu sous le nom de « touahîm ». Ce qui signifie « avoir des envies ». Cet état peut être provoqué par de réelles envies, subites, (inhabituelles en matière d’aliments) chez la personne concernée dont l’organisme a besoin notamment par rapport au fœtus en gestation. Mais il peut être aussi de nature psychologique ou même le fait de « ruses » par la femme enceinte afin d’obtenir quelques avantages (notamment en matière de nourriture) auxquels elles n’ont pas droit d’ordinaire…

Le désir de maternité

Ces envies peuvent parfois prendre des aspects hystériques un peu à la manière d’un addict privé de sa drogue habituelle. Dans ce cas, cela provoque un profond sentiment de gêne, voire de honte (h’chouma), notamment auprès des maris désorientés. Pour les femmes qui se retrouvent dans cet état incontrôlable, on utilise le verbe « tatwahham ». Les symptômes, souvent « inélégants », voire à la limite scandaleux selon les valeurs locales, ont même permis à ce verbe de s’»émanciper » et d’être par exemple appliqué à des comportements de femmes déplacés soupçonnées d’être en « chaleur » comme on dit communément, c’est-à-dire d’avoir des attitudes provocatrices indécentes. Cela va plus loin : le même verbe est parfois utilisé pour décrire des comportements masculins jugés inconvenants (caprices infantiles, pleurnicheries peu viriles…). On dira : « yatwahham kil mra ennafsa » (il fait des caprices comme une femme enceinte). Avec la dose de mépris que l’on peut facilement imaginer….
Que ces envies (soupçonnées donc parfois de « caprices ») soient vérifiables organiquement ou pas, le processus décrit par les femmes indique bien le travail complexe et ardu auquel est soumis l’organisme féminin en état de grossesse. A un moment donné du développement de l’embryon, le petit commence à remuer, à donner des coups, à la grande satisfaction de la « porteuse » (hamla) et de tout l’entourage. Si ces manifestations n’apparaissent pas immédiatement, l’inquiètude s’installe. On pense à ce que la coutume nomme le « boumergoud » (l’enfant endormi), mythe que l’on verra plus loin.

Pour l’hygiène, le hammam est-il conseillé en cas de grossesse ?

Même celles et ceux qui n’ont jamais visité un pays du Maghreb ou du Machrek savent combien le hammam est important dans la vie de la cité ; à la fois pour l’hygiène mais aussi pour la sociabilité, la convivialité, les rencontres…mais aussi pour les bavardages, la circulation directe de l’information par le bouche à oreille, et les commérages, bien sûr !
Cela est particulièrement vrai et important pour les femmes qui ont moins de lieux de rencontres publics que les hommes. Pour ainsi dire, si les hommes peuvent s’en passer à l’occasion, les femmes, elles ne ratent l’occasion qu’en cas de force majeure. Alors, la question se pose : le hammam est-il conseillé aux femmes enceintes ?
Mais rappelons au passage les principaux bien-faits du hammam en période « normale », c’est-à-dire aussi bien pour les hommes que pour les femmes non enceintes.
Dans la culture arabo-musulmane, tous les rituels liés à l’eau sont d’une grande importance car l’eau est liée non seulement à la vie en irrigant la terre, mais aussi à la purification du corps (ablutions) et de l’âme.

Symbolique de l’eau dans la culture arabo-musulman

  • D’abord, il y a les bienfaits de l’air ambiant, cette chaleur humide qui caractérise spécialement le hammam et qui permet de désobstruer les bronches, d’améliorer la respiration. Le hammam est particulièrement conseillé pendant la période hivernale et les maladies qu’elle peut engendrer.
  • Le rituel du hammam nécessite un nettoyage très profond de la peau. Ce qui est particulièrement recommandé, afin de se débarrasser des couches de peaux mortes.
  •  Cela stimule le renouvellement cellulaire et donc la production de collagène. La peau perd sa rigidité et devient plus élastique et devient donc naturellement moins exposée aux vergetures par exemple.
  • La peau devenant plus élastique, plus souple, cela permet de dénouer toutes les tensions musculaires, surtout celles accumulées habituellement dans le dos, aussi bien pour les femmes que pour les hommes ;
  • L’accès et le va-et-vient entre les pièces chaudes et froides, ainsi que les massages à l’eau froide permettent d’activer la circulation sanguine plus que tout autre procédé ;
  • Médicamenteux ou autre…. Cela permet aussi de décongestionner les jambes lourdes.

Alors, conseillé ou interdit pour la femme enceinte ? Rien dans la religion ou les traditions ne l’interdit.
D’après les médecins spécialisés, si vous avez une grossesse à risque, alors oui, le hammam est déconseillé, car la dilatation vasculaire liée à la chaleur, peut entrainer un accouchement prématuré.
Si la grossesse se déroule normalement, il faut quand même adapter les temps de visite en fonction de son avancée dans la grossesse. Ainsi au premier trimestre, l’idéal serait de ne pas dépasser les dix minutes dans la salle chaude ; lors du second trimestre, la femme enceinte peut rester jusqu’à 15 minutes. En fin de grosses, généralement les femmes enceintes ne peuvent pas supporter l’ambiance chaude au-delà d’un quart d’heure.
Lors du premier trimestre, il vaut mieux profiter de la chaleur de l’endroit en évitant la vapeur, car elle modifie le rythme cardiaque et provoque l’essoufflement. Mais dans ce cas, il faut que le gérant ou le propriétaire accepte de couper la vapeur. En milieu et fin de grossesse, le processus de gestation est « à maturité » ; il y a alors moins de risque d’interruption de grossesse.

Le mythe-alibi du « boumergoud »

Nous pouvons traduire le mot « Boumergoud », issu de l’Arabe dialectal algérien par « l’endormi », mais le préfixe « Bou » y rajoute une note clinique.
C’est à la fois un mythe et une hantise qui poursuit toutes les mères. Une fantasmatisation qui peut mener à toutes les hypothèses. L’utérus refuse de faire « son travail ». Une sorte de stérilité qui n’attend que les conceptions suivantes pour se déclarer définitivement.
Comme on peut s’y attendre en milieux traditionnels, il existe de nombreuses recettes magiques, de « guérisseurs » prêt à venir en aide à l’infortunée. L’arsenal « thérapeutique » consiste dans ce cas à réveiller le foutus avant qu’il ne soit trop tard. Pourtant, les croyances en milieux populaires surtout ruraux sont tenaces : beaucoup de femmes croient naïvement que l’enfant endormi peut rester dans le corps maternel plus de deux années, sans subir aucun dommage et se mettre en gestation le moment voulu !

Boumergoud comme parade magique au scandale de l’adultère

L’absence du mari, durant cette période, excédant donc la période normale biologique des neuf mois justifie cette naissance tardive et neutralise du coup tout soupçon d’adultère. Le jour présumé de l’accouchement est quant à lui, entouré de grandes précautions, de rites prophylactiques à base d’inscriptions coraniques souvent douteuses (aussi bien au niveau du sens que de la transcription correcte).
Ce mythe, qui remonte semble-t-il aux croyances païennes berbères d’avant l’arrivée de l’Islam, et reconnu (du bout des lèvres par les Oulémas malékites majoritaires au Maghreb) n’est plus en cour que dans des régions délaissées au niveau développement et des milieux populaires défavorisés. Curieusement, il semble aussi perdurer dans certains milieux de l’immigration en France, issus probablement des mêmes milieux…

L’accouchement, un moment du sacré

On ne peut comprendre l’importance de la procréation, acte fondamental qui consiste à donner la vie et donc à assurer la pérennité de l’espèce humaine dans l’espace géo-culturel arabo-musulman et donc dans la culture maghrébine si on ignore le socle sur lequel ce processus repose, à savoir les recommandations coraniques et leur pendant la « charia » (ensemble des lois déduites du Coran). C’est la base fondamentale sur laquelle sont venues se greffer à la fois les traditions pré-islamiques berbères, puis plus tard des règles modernes, les unes établies pendant la période coloniale, d’autres instituées par les nouveaux états indépendants après les indépendances.

Le discours de l’Islam et du Coran sur la procréation et la maternité

Que disent le Coran et les jurisprudences qui ont suivi, à ce sujet ? Il n’est pas question ici, évidemment, de traiter ce sujet sous cet angle de manière exhaustive. Mais de rappeler quelques principes de base largement partagés par les trois pays principaux du Maghreb.
Commençons par le Coran. Le texte sacré considère que les rapports sexuels dans le cadre du mariage sont non seulement licites mais encourage les musulmans à honorer leurs épouses autant de fois que nécessaire. Ce qui, pour nous, n’entraîne pas forcément l’acte de procréation proprement dit, ni n’oblige l’épouse à répondre à la demande du mari si elle est indisposée pour une raison ou une autre et même si sur le moment elle n’a pas l’envie. Le Coran dit dans de nombreux versets que les enfants sont un bienfait de Dieu, un don qu’il faut savoir préserver, un bien qu’il faut faire prospérer… On attribut au Prophète un Hadîth où il aurait dit que faire des enfants c’est l’équivalent d’une « hassana » (acte charitable ou bonne action). Cela signifie-t-il que le musulman doit avoir le plus grand nombre de naissances, même quand il est dans le besoin ? Beaucoup de croyants le pensent, encouragés en cela par les Oulémas (docteurs de la foi). D’où les familles nombreuses, et une croissance démographique exponentielle, même si les statistiques récentes révèlent un ralentissement notable dans l’ensemble du monde arabo-musulman. Nous y reviendrons.
Si toute naissance (fille ou garçon) est considérée comme un don de Dieu, l’événement devient automatiquement sacré et doit être à la hauteur de la grâce divine ainsi accordée. L’intérêt est d’autant plus grand que l’accouchement peut être source de complications diverses pouvant aller des premières difficultés naturelles jusqu’à la mort. Le taux de mortalité est très élevé dans les milieux ruraux et défavorisés. S’il arrive qu’un enfant soit mort-né, bien entendu, Dieu n’est jamais remis en cause. Les causes pouvant entraîner ce genre d’anomalies sont diverses, mais la conception traditionnelle se complet à leur trouver des raisons dans la rivalité humaine. Sont évoqués alors les maléfices jetés par une personne jalouse ou un comportement irresponsable du mari qui aurait couché avec une autre femme pendant la grossesse de son épouse…
Lors de l’accouchement, traditionnellement, le mari est exclu du groupe restreint qui accompagne l’accouchée. Seules la belle-mère, la tante et certaines femmes particulièrement respectées sont mises au courant dès les prodromes de l’accouchement. Le mari, lui n’est mis au courant qu’une fois le fait accompli et c’est généralement là qu’il apprend si Dieu l’a gratifié d’un garçon ou d’une fille.
L’enfantement de jumeaux (touâm) est très bien accueilli. La gémellité est perçue favorablement. Une croyance l’atteste : seuls les parents qui ont éprouvé le même désir sexuel en même temps et l’ont immédiatement réalisé peuvent obtenir des jumeaux.
La maternité ne devient heureuse qu’à partir de la venue au monde du nouveau-né, en bonne santé et le début de l’allaitement.

L’allaitement

L’allaitement au sein, au Maghreb, est considéré comme naturel, allant de soi et il est majoritairement pratiqué. Les vieilles dames scrutent attentivement le lait qui apparaît peu de temps après la naissance de l’enfant et le commentent avec précision et respect. Selon qu’il soit trop fluide ou au contraire très dense, elles préconisent des boissons à base d’herbes connues ou des fumigations qui permettent la régulation du lait maternel, du point de vue de sa composition, son abondance et son débit. Ces recettes se transmettent entre femmes de génération en génération. Ce transfert des connaissances concerne aussi les coutumes en matière de protection sanitaire du bébé, de la façon de le langer, des techniques de portage et jusqu’aux berceuses qu’il faut lui fredonner.
Le travail de lactation ouvre un nouvel épisode dans la relation corporelle qu’à l’enfant avec sa mère. L’instinct de succion du nouveau-né, les nouvelles fonctions nourricières de cet organe qu’est le sein provoquent une mutation psychologique et physique chez la jeune maman. Le passage de l’état de jeune fille nubile à celui de mère qui nourrit un être mis au monde par son propre corps au bout d’un long séjour marquant, ne peut laisser indifférent.
Il est important de souligner que donner le sein au bébé « désexualise » l’organe en question, habituellement protégé bien à l’abri des regards. Il n’est plus perçu que sous sa fonction d’organe nourricier ; et donc la mère peut le sortir devant les autres membres de la famille ou même en public, dans les transports en commun par exemple, si le bébé manifeste l’envie de téter. Il est important de souligner aussi, qu’outre les nombreux égards dont bénéficie la mère allaiteuse, durant la période de Ramadan, si la mère craint de ne pas pouvoir allaiter correctement son enfant, la loi religieuse l’autorise à ne pas observer le jeun.
L’allaitement dure approximativement deux ans, une période relativement longue par rapport aux pratiques dans le monde concernant ce domaine. Le sevrage vient clore cet état de béatitude partagée entre la mère et son enfant pour préparer une nouvelle grossesse, un prochain enfantement et une nouvelle période d’allaitement. Les méthodes de sevrage sont nombreuses et diffèrent d’une région à l’autre. En vérité, il n’y a pas de règles en la matière, sinon un consensus qui consiste à essayer plusieurs aliments ou boissons de remplacement et de voir comment l’enfant réagit.
Évidemment, nourrir au sein un bébé deux ans durant n’est pas à la portée de toutes les mères, selon leur constitution physique, leur alimentation et leur état de santé en général. Celles qui ne peuvent mener cette mission jusqu’au bout ressentent une certaine frustration, voire même avoir un sentiment de honte ou de culpabilité. Heureusement, dans ce cas, l’entourage -généralement assez sévère envers les femmes défaillantes en milieu traditionnel – tient compte des aléas de la nature humaine et dans de nombreux cas, l’allaitement est confié à une autre femme, une nourrice, membre de la famille ou proche qui devient ainsi « mère de lait » pour l’enfant. Il arrive ainsi que l’enfant soit allaité par une ou même plusieurs autres femmes. Les enfants de ces femmes « allaiteuses » sont alors considérés comme « frères ou sœurs de lait » et ne peuvent par conséquent pas se marier entre eux plus tard…
Il va de soi qu’au sein des familles immigrées en France ou ailleurs en Europe, l’allaitement au sein se fait de plus en plus rare et le recours au lait animal dans sa forme pharmaceutique et industrielle est pratiquement adopté majoritairement, sans hésitation ni culpabilité, rien dans le Coran ou la charia ne l’interdisant.
Il en est de même dans les pays du Maghreb, notamment en milieux citadins, aisés ou non. De fait, le lait en poudre a été introduit au sein des familles durant la période coloniale déjà. Aujourd’hui, des industries entières sont présentent à travers tout le Maghreb, proposant nombre de marques de lait de bébé aux différents distributeurs autorisés, notamment les pharmacies, hôpitaux et autres cliniques.

Nourriture spéciale pour allaitement au sein

La mère, durant sa grossesse comme on l’a vu peut avoir des envies, notamment en matière de nourriture. Ces envies inhabituelles peuvent parfois engendrer de la suspicion. Mais dans le cas de l’allaitement, il y a un consensus : pour que la mère puisse allaiter et nourrir correctement son bébé en qualité et en quantité, il faut qu’elle soit elle-même bien nourrie. En plus, elle peut bénéficier d’aliments « compensatoires » spéciaux, un peu à la manière des « nutriments » vendus en Europe en parapharmacie.
Les mères peuvent se voir recommander de la nigelle ou cumin noir (Nigelle sativa), connue aussi sous l’appellation de « graine bénie ». En plus des ses vertus comme complément alimentaire en cas d’allaitement, cette plante est réputée pour les soins d’autres maladies. Mais elle est déconseillée au cours de la grossesse, car considérée comme « galactogène ».

Le coran l’islam et les dattes dans l’alimentation de la mère

Dans la sourate XIX consacrée par le Coran à la Vierge Marie, cette dernière accouche de Jésus sous un palmier-dattier. Dieu ordonne alors à l’arbre de rapprocher ses branches pour que Marie puisse accéder à ses fruits. De là, les dattes acquièrent une sorte de valeur sacrée et les mères musulmanes sont encouragées à en consommer pendant l’accouchement et la période du post-partum. Outres les nombreuses vitamines qu’elles contiennent et leur teneur en sucre, les dattes contiennent des substances similaires à l’ocytocine qui déclenche l’éjection du lait.
Le fenugrec, les noix revenues dans du beurre et du sucre sont aussi recommandés. De même que les soupes et certaines herbes en tisanes. En revanche, la consommation de piments est déconseillée. De même que pour certaines épices fortes dont on peut retrouver le goût dans le lait de certaines mamans en cas d’abus et même dans l’haleine du bébé.

Nourritures spéciales pour femmes accouchées

Il y a une homogénéité synchronique flagrante concernant les critères de choix des nourritures de l’accouchée et des croyances qui leur sont attachées non seulement dans l’ensemble du monde arabo-musulman maghrébin et moyen-oriental, mais aussi dans le monde chrétien tout autour de la méditerranée. Cela est valable aussi pour les sociétés juives, mettant en évidence une communauté de croyances et de pratiques qui dépassent les religions, les langues et même les sociétés.
Ces nourritures données à une période très particulière, celle de la naissance, s’enracinent dans un passé très ancien qui peut remonter jusqu’à l’Antiquité et au delà jusqu’aux époques proto-historiques des débuts de l’agriculture.
La naissance d’un enfant est un événement social important que guette l’entourage et qui changera fondamentalement le statut de la mère. Avant la naissance et pendant les quarante jours qui suivent l’accouchement, surtout les sept premiers, certains éléments de la vie prennent une grande valeur. Durant cette période considérée comme très éprouvante, la mère est très choyée : elle a droit a plus d’égards, notamment en matière de nourriture.

Elle est l’objet de soins particuliers grâce auxquels son corps va recouvrer son état initial car une femme qui accouche devient particulièrement fragile. Les croyances populaires la considèrent comme particulièrement soumise à la malignité des djnûn « mauvais génies ». Il faut donc la protéger au maximum, par exemple avec des fumigations (bkhour) abondantes dans la pièce de travail et sa chambre, ou par des amulettes qu’elle devra porter. Elle est pratiquement interdite de sortie, sous haute surveillance de la sage-femme, les parentes et les amies qui ne la laissent jamais seule.

Dans cette phase de récupération, l’alimentation joue évidemment un rôle de premier plan. Cela commence déjà pendant la grossesse. Lors des derniers mois de la grossesse, une nourriture légère est recommandée pour éviter que le fœtus ne soit trop gros à la naissance et éviter ainsi à la mère un accouchement pénible. Il faut par exemple éviter les aliments trop forts ou trop épicés tel le « qeddîd », confît de viande. Seul le cumin est recommandé pour accompagner les œufs, à la coque par exemple.

Tout est fait pour favoriser un accouchement dans les meilleurs conditions. Des manipulations physiques qui maintiennent chaleur et énergie au corps ; la pièce de travail est fermée, même en plein jour, pour éviter tout autant le froid, le vent que les fameux djnûn. Des aliments et des boissons qui réchauffent et influent sur le système nerveux en provoquant un relâchement des muscles : certaines de ces recettes sont à base d’aromates physiologiquement actifs tandis que d’autres sont de purs rites magiques ou médico- magiques, dont l’action se situe sur le plan psycho-somatique. Par exemple, une décoction d’armoise très sucrée ou une infusion de menthe et de cannelle bien sucrée elle aussi, ou bien encore une tisane faite avec clous de girofle, fleurs de lavande, menthe pouliot, thym, cannelle. Ces potions suffiraient à augmenter et rapprocher les contractions utérines.

Dans certaines régions du Maghreb, des traditions mi-islamiques, mi-païennes en vérité se mélangent. Comme à Sfax par exemple. L’accouchée avale du café ou un œuf à la coque, ou encore une eau ayant servi à laver une assiette de porcelaine sur laquelle ont été écrits à l’eau de safran des versets coraniques. À Casablanca, elle respire l’acre et piquant arôme d’un oignon fraîchement coupé, elle peut aussi prendre une bouillie de cresson alénois (habb er-rsâd), réputé énergisant et fortifiant.

Dans les Aurès, on la fait éternuer en lui mettant du tabac à priser, du vinaigre ou du piment pilé dans une narine et en bouchant l’autre. C’est par des plats appropriés que la mère va promptement retrouver ses forces, « régénérer le sang perdu » comme on dit à Tunis, reconstituer ses forces qu’elle a perdue en saignant et avoir du lait ; c’est pourquoi son alimentation est soumise à des règles précises : elle doit être très chaude et donc énergétique grâce aux sucres (miel, dattes, fruits secs et plus récemment le sucre), aux farineux (céréales – orge, blé dur-, dattes), aux graisses (beurre fondu, huile d’olive, de sésame, bouillon de volaille), aux fruits secs (amandes, noix, noisettes, pignons), aux épices (cannelle, safran, poivre, piment, cumin, etc.).

Le fenugrec est particulièrement conseillé parce qu’il donne de l’embonpoint, le cresson alénois, les graines de fenouil, d’anis vert, thym, menthe pouliot, etc..
À cela, s’ajoutent les volailles sous forme de bouillon et les œufs. Les aliments à base de céréales sont des bouillies, de la semoule, des crêpes (baghrîr) , des grains et farines grillés mis en farine et assaisonnés de miel et de beurre ; céréales, miel et beurre sont communs à tous les Arabo-musulmans sédentaires ou nomades, aisés ou de conditions modestes.

La stérilité considérée comme une catastrophe

Le cas des « ‘agrât » (femmes stériles) est bien révélateur d’une société à facture patrilinéaire et « virilocale ». La stérilité chez une femme est considérée comme une catastrophe. Ou plutôt une malédiction. Qu’elle soit primaire ou secondaire, elle est toujours une tragédie pour la femme concernée et sa famille. Dans l’imaginaire populaire maghrébin, l’espace utérin qui devient gravide grâce à la conjonction des semences masculines et féminines est comme la nature : il a horreur du vide !
La « ‘agra » subit d’office un procès de dépréciation. Une femme répudiée pour sa stérilité n’attire que quelques sentiments de pitié, parfois de solidarité silencieuse, mais guère de défense. Elle devient, à son corps défendant, un rebut de la société. Le rejet ne concerne pas seulement la femme mais toute sa famille et est même considérée par la belle-famille comme une « atteinte à l’honneur » !
C’est ce que l’on appelle « essaad el mal’oûn » : l’intransigeante iniquité du destin. Cette réprobation collective est contenue dans les mots, les dénominations, les épithètes utilisés pour désigner cette infamie. « Âqera » en Arabe littéral, « ‘âgra » en dialectal, mots qui dans l’inconscient collectif sont aussi synonymes de « sèche », « improductive », à la manière d’une terre incultivable, voire « inutile », tronc sec, plante sans sève…
Cette intolérance sévère envers la femme stérile a engendré des croyances et parfois des pratiques douteuses ou du moins contraires à l’esprit de l’Islam et de la charia, comme par exemple déterrer des morts pour faire des « gris-gris » (hrouz) avec quelques fragments de peau ou encore de s’asperger du sang d’un animal sacrifié.
Quant à la stérilité masculine, quelle que soient ses raisons physiologiques, elle ne semble pas provoquer une incrimination aussi forte que celle concernant la femme. Est-ce dû à l’ignorance que l’homme aussi peut être stérile ? Ou est-ce là encore l’esprit patriarcal, virilocal qui impose sa loi : seule la femme peut être « infertile » selon le principe que l’homme est supérieur à la femme, dans tous les domaines ?
Quoi qu’il en soit, et même si la médecine moderne largement répandue dans tout le Maghreb prouve qu’un défaut de grossesse provient d’une défaillance des spermatozoïdes du mari, le secret sera bien gardé, mais le divorce, sous un prétexte ou un autre deviendra inévitable…

Les privilèges accordés au « garçon-roi »

De toute évidence, le jour « J », c’est-à-dire celui de l’accouchement, et cela même en milieu citadins aisés et lettrés, pratiquement tout le monde -femmes et hommes – espère la venue d’un garçon. Soulignons que les procédés échographiques qui permettent de savoir à l’avance s’il s’agit d’une fille ou d’un garçon existent dans les hôpitaux et cliniques maghrébines, car rien dans la religion musulmane (Coran et jurisprudence) n’interdit le procédé. Mais les gens y ont peu recours. Il en est de même au sein de l’immigration en France, surtout concernant une certaine tranche d’âge… Les jeunes couples que ce soit au Maghreb même ou en France ont moins de réticences, sauf si le couple veut se réserver la surprise ; ce qui arrive beaucoup plus qu’on ne le croit…
Dans les milieux traditionnels, notamment en Tunisie (1), à part l’avis de la voyante, l’entourage de la femme enceinte et elle-même peuvent déterminer le sexe de l’enfant selon les comportements au cours de la grossesse. Cela peut être un garçon si :
la femme s’assied toujours les jambes croisées,
l’enfant se situe dans la partie droite du sein,
la mère souffre de convulsions dans l’abdomen,
elle sent des mouvements à partir du cinquième mois, son visage s’amincit, les vaisseaux sanguins deviennent visibles, et son ventre prend de l’ampleur ;
S’il s’agit d’une fille :
en s’asseyant, la femme étend les jambes,
l’enfant se situe dans la partie gauche du sein,
des douleurs se manifestent dans le ventre et dans la partie supérieure du corps,
après trois mois, la mère sent de légers mouvements, le ventre ne grossit pas, et le visage jaunit.
Si ces prévisions ne se réalisent pas, évidemment on s’en remet toujours à la volonté de Dieu et l’on accepte bon gré mal malgré la venue d’une fille.
La relation mère-enfant, dans la culture arabo-musulmane en général et donc au Maghreb achoppe là, sur cet écueil que constitue l’amour -souvent démesuré – que donne la mère au fils. Gavé, choyé, protégé à l’extrême, l’enfant mâle finit par croire en sa supériorité par rapport à ses sœurs et à son statut d’ »enfant-roi ». Si on doit faire des reproches à certains comportements masculins dans la culture maghrébine, il faut dire que les mères, donc des femmes, y sont pour quelque chose : elles reproduisent elles-mêmes le système patriarcal dont elles finissent par se plaindre.
D’après Malek Chebel (2), il y résulterait de ce rapport privilégié mère-garçon une sorte de relation incestueuse inconsciente qui peut marquer le garçon toute sa vie. Ainsi, il semblerait que plus tard, l’»enfant-roi » devenu adulte, en quête d’une âme sœur, choisirait inconsciemment des femmes qui ressemblent à sa mère, physiquement , moralement ou les deux à la fois. Par un jeu psychologique complexe, l’inverse pourrait se produire. Le jeune homme chercherait plutôt l’exact contraire de sa mère, si au cours de sa vie d’enfant il a eut avec sa génitrice-protectrice quelques incidents malheureux.

L’avortement

Le problème de l’avortement se pose à l’échelle planétaire quelle que soit la culture et/ou la religion. Dans de nombreux pays, non musulmans et qui plus est, développés comme les Etats-Unis, la Pologne ou l’Argentine et l’Irlande, les femmes se battent jusqu’à nos jours pour l’obtenir. La religion, notamment le catholicisme, est souvent le principal obstacle au contrôle des naissances et à l’IVG. Il n’est pas anodin qu’un certain nombre de pays à majorité catholique ont une législation stricte sur la question. On peut citer l’Andorre, la République dominicaine, le Salvador, Malte, le Nicaragua et bien sûr le Vatican, qui se distinguent même par une interdiction totale de l’avortement.
Alors, qu’en est-il des pays musulmans ? Et surtout pour l’ère qui nous intéresse, le Maghreb ? Dans cette région, le droit à l’avortement est interdit ou restreint. l’IVG n’ y est autorisée que pour sauver la vie de la mère ou uniquement pour préserver sa santé physique ou mentale. Aujourd’hui, seule la Tunisie autorise les avortements volontaires, sur demande de la mère. Aucun de ces pays n’interdit totalement l’IVG, mais des restrictions draconiennes rendent l’avortement plus difficile pour les femmes avec les conditions de sécurité nécessaires.
De toute façon, l’avortement est un sujet controversé, notamment au regard de la loi islamique. Même, en Tunisie, en dépit de la loi qui les y autorise, les femmes qui décident d’avorter doivent souvent faire face à l’opposition de l’entourage, mais aussi au jugement négatif du personnel médical et de la société en général.
Globalement, les autorités religieuses musulmanes considèrent que l’avortement est contraire à la volonté d’Allah qui, seul, a droit de vie et de mort. Cela est d’ailleurs aussi valable pour le suicide. Cependant, les différentes écoles juridiques de l’Islam n’ont pas toutes le même point de vue sur la question.
Cela se complique encore plus dans la jurisprudence musulmane y compris malékite, majoritaire au Maghreb et réputée plus « libérale » voire accomodante, En effet le malikisme, (majoritaire au Maghreb), considère le fœtus comme un être vivant en devenir et interdit totalement l’avortement. En définitive, tous les dogmes islamiques estiment qu’à compter de 120 jours après sa conception, le fœtus a une âme, et aucun n’autorise l’avortement après cette date parce qu’il n’y a pas de distinction nette entre fausse couche et avortement.
Mais, comment distinguer une fausse couche, accident « naturel » d’un avortement déguisé ? Dans des pays où les solidarités familiales, voire tribales peuvent se déjouer des autorités médicales ou autres ?

Les relations sexuelles avant, pendant et après l’accouchement

Le sang représente dans la culture traditionnelle maghrébine une part importante dans de nombreux rites et est souvent utilisé à des fins de sorcellerie pour traiter certains cas. Ainsi, par exemple, les premières menstrues de la jeune vierge peuvent être utilisées afin de rendre quelqu’un amoureux.
Curieusement, les menstrues portent en Arabe le nom de « ‘âda » qui étymologiquement signifie  habitude ou tradition. Lorsque une femme à ses ‘ada, donc, l’homme doit s’abstenir de tout commerce sexuel avec elle.
Selon les croyances populaires, l’homme qui ne respecte pas cette règle tombera certainement malade, et qu’il souffrira de mard’ l-mislân, une inflammation de la colonne vertébrale.
Toujours selon ces croyances, au cours des relations intimes, la femme doit être absolument pure à tout point de vue, sinon l’enfant qui va naître risquera d’émettre toute sa vie de mauvaises odeurs.
Avant d’approcher sa femme, le mari doit impérativement invoquer Dieu pour se protéger du shaytân (Satan) et des djnouns (mauvais génies). Le fait d’omettre cette invocation est considéré comme un péché (dhanb) et pourrait exposer la femme à de nombreux dangers dangers et, de surcroît, cela risque également de nuire à l’enfant.
L’homme peut continuer à avoir des relations sexuelles avec sa femme jusqu’à la naissance. Toujours d’après la tradition, cela serait profitable tant pour la mère que pour le fœtus. Le commerce intime élargirait le vagin, facilitant ainsi l’accouchement. En plus de cela, le fœtus reçoit par l’utérus, du sperme, qui est considéré par certains comme faisant office de nourriture pour l’enfant à naître. Cette dernière affirmation n’est bien sûr pas partagée par tout le monde, tant tout ce qui touche aux fluides corporels et notamment en relation avec le sexe est considéré comme tabou, voire relevant du sacré. Surtout que la « richesse alimentaire «  du sperme réelle ou supposée n’est pas une connaissance largement répandue en milieux populaires.
Après l’accouchement, l’homme doit s’abstenir de toute relations sexuelles durant quarante jours. Cette période est estimée nécessaire pour qu’une femme en couches puisse recouvrer sa force et sa santé.

L’adoption (kafâla)

En Islam, en principe l’adoption est interdite selon les « hadîth » (propos du Prophète) et du Coran (sourate 33, versets 4 et 5). Et donc l’enfant doit obligatoirement garder son nom patronymique d’origine.
Mais malgré cette interdiction, l’adoption continue d’être pratiquée dans certains pays, dont notamment le Maroc par des Berbères arabisés ou en Algérie où il arrive souvent qu’un homme adopte ses neveux, les enfants de son frère décédé. Dans les faits, plusieurs alternatives (légales et illégales) ont existé et continuent de trouver application.
Par exemple, la pratique de l’adoption par allaitement. Il suffit pour qu’une femme devienne la mère de l’enfant qu’elle l’allaite avant qu’il n’atteigne l’âge de 2 ans de celui-ci. La mère, son mari et les membres de sa famille seront considérés comme ayant un lien de parenté avec cet enfant. Mais les effets de ce lien sont quand même limités aux empêchements au mariage.
En Tunisie, il y a la pratique du » Mrebbi », qui permet par exemple à des des familles aisées de prendre en charge des enfants en bas âge en échange de quelques avantages ménagers de leur part. La tradition malékite, majoritaire au Maghreb, permet le « Tanzil », qui consiste à désigner un enfant étranger au titre de la succession, lequel peut donc hériter jusqu’au tiers de la succession. Ce lien se limite à l’héritage toutefois.

Il arrive encore souvent qu’un parent confie, pour raison de santé ou de départ définitif contraint, de manière informelle, son enfant à un autre membre de la famille, et ce, de manière permanente. L’enfant est intégré dans la famille sans aucune procédure légale officielle, bien sûr… Autre pratique courante mais interdite, l’adoption secrète ; un processus par lequel la mère biologique ou un membre de sa famille confie pour diverses de force majeure le nouveau né à une personne qui prend la responsabilité de se déclarer mère biologique de l’enfant. Ce processus, est bien entendu illégal et s’effectue dans la plus grande discrétion.
De toutes ces pratiques , il en ressort que l’Islam n’interdit pas vraiment l’adoption, il remplace » la « nature officielle » plus ou moins illégalement, souvent par des subterfuges subtils, grâce à la volonté humaine, selon les circonstance et les contraintes.
Dans l’Islam maghrébin, l’interdiction de l’adoption était tempérée par l’insistance de bien traiter l’orphelin, de le protéger et de veiller sur ses droits. Cette religion encourage la « prise en charge » des orphelins et donc non leur adoption « officielle » à la manière occidentale, en leur accordant par exemple le patronyme du père adoptif. L’acte de recueillir un enfant est considéré comme une grande « hassana » (acte de bienfaisance à caractère pieux). On attribue au Prophète ces propos : « Au paradis, le tuteur de l’orphelin et moi-même seront comme ces deux doigts ». Le Prophète aurait alors levé les deux doigts en forme de V.

Elle est considérée comme tel par les autorités chargées d’administrer la « kafala ». C’est là que résidait principalement l’intérêt de cette institution. La kafala consistait en la forme d’une prise en charge bénévole par le « kafîl » (la personne qui a pris la responasabilité de la prise en charge) à assurer l’entretien, l’éducation et la protection du mineur pris en charge « makfoul ». Il y en avait deux types : la kafala consensuelle par laquelle le parent biologique confiait son enfant à quelqu’un qu’il connaissait et la kafala de l’enfant abandonné par laquelle c’est l’État qui confiait l’enfant au « kafîl ».

Le « kafîl » devait être musulman, de bonne moralité, en santé et plus âgé que l’enfant. Tout élément portant à masquer une adoption à l’intérieur même de la kafala étaient interdits. Ainsi, pour éviter toute confusion, le « makfoul » ne pouvait pas prendre le nom du « kafîl ». Cette prohibition est confirmée par la sunna (Islam orthodoxe) : celui qui est appelé d’un nom autre que celui de son père et sait que cette personne n’est pas son père, ne pourra pas aller au Paradis. Celui qui est appelé d’un nom autre que celui de son père et connaît la vérité (mais la cache) est même considéré comme mécréant (kâfir). Le « makfoul » n’avait pas droit à une part d’héritage, mais la sunna recommande que le « kafîl » fasse des dons au « makfoul ». à moins d’opposition des héritiers.
Ainsi, l’adoption est jugée « contre nature » parce qu’elle porte atteinte à l’équilibre de la famille biologique et brouille les règles successorales impératives, d’où la nécessité de créer une institution alternative.
Aujourd’hui, et selon le pays, il existe des institutions étatiques au sens moderne, l’équivalent des orphelinats occidentaux qui prennent en charge les orphelins, enfants perdus, (nombreux, surtout en Algérie, du fait d’une guerre civile qui a duré plus de dix ans), chassés ou abandonnés par leurs parents pour cause de misère ou de différends familiaux. Ces centres d’accueil sont équipés pour l’hébergement, l’alimentation, les soins en collaboration avec les services des hôpitaux publics et la scolarisation, le tout encadré par du personnel spécialisé. Malheureusement, leur nombre est compté et l’information, comme dans beaucoup d’autres domaines ne circule pas correctement. Résultat, beaucoup d’enfants se retrouvent à la rue avec seule l’aide ponctuelle des gens du quartier ou d’associations caritatives, elles-mêmes fonctionnant avec des moyens limités. Ces associations (souvent à caractère religieux) n’ont généralement pas de subventions et fonctionnent grâce aux dons des fidèles.

Éducation : entre punitions et châtiments corporels

Dans le droit musulman sunnite (charia), il existe un certain nombre de catégories explicitement désignées : le vol, la fornication, les fausses accusations d’atteintes à la pudeur, l’injure accompagnée de blasphème,le vol, l’apostasie et la rébellion (cette dernière restant controversée). Les sanctions qui s’y rapportent sont consacrées dans le Coran, d’autres induites par la Sunna et se concrétisent dans la majorité des cas à travers des châtiments corporels: coups de bâtons, flagellation, amputation des mains ou des pieds ou encore lapidation.
Ces dernières sanctions ultimes et disons-le « barbares » n’existent plus que dans certains pays qui appliquent encore strictement la charia comme l’Arabie Saoudite, ou le Pakistan. Au Maghreb, elles ne sont guère pratiquées, voire même bannies. Même la peine capitale qui existe encore dans les législations des trois pays n’est appliquée que dans des cas très rares, quand la sécurité de l’état elle-même se trouve menacée. Le ou les accusés voient souvent leur peine prolongée indéfiniment, sans jugement en devenant de fait une condamnation à la prison à perpétuité. Sans le dire, et sans procédures judiciaires régulières.
Une deuxième catégorie comprend les délits dits « qisâs », l’équivalent de la loi du talion ou du populaire « œil pour œil, dent pour dent » et inclue des sanctions sous forme de châtiments corporels. Ces délits graves portent atteinte à la vie et l’intégrité corporelle, comme par exemple le meurtre, l’assassinat ou les lésions corporelles. Outre des indemnités financières, le catalogue de sanctions englobe également la possibilité du châtiment corporel en guise de représailles.
Bien entendu, aujourd’hui, dans les pays du Maghreb, les sanctions sont du ressort de l’état et de sa justice, selon les lois de chaque pays. Aucun individu, si important soit-il, n’a le droit de se faire justice soi-même. Bien que ces lois modernes soient le plus souvent des synthèses entre le droit hérité de l’ex-puissance coloniale, la France (droit dit napoléonien) et de règles puisées dans la charia islamique, il appartient aux tribunaux et à eux seuls de décider du sort d’un criminel quelles que soient les raisons de son crime, y compris lorsqu’il s’agit d’un « qisâs », vengeance, même pour des raisons qui peuvent la justifier…
Voilà pour les personnes majeures et les adultes. Qu’en est-il maintenant de l’enfant au cours de son éducation et de la part des contraintes, punitions, voire de châtiments corporels qui pourraient lui être appliqués ou infligés, selon la nature de la faute commise ? Nous verrons cela en fonction à la fois des traditions (liées forcément au religieux), des lois « officielles » appliquées ou non par la justice étatique, ainsi que de l’évolution de la société par rapport à la modernité, donc forcément par rapport à ce qui se passe en France et ailleurs dans les pays dits développés.
Nous citons la France en premier pour deux raisons majeures :
– le droit maghrébin, avec ses variantes nationales selon les pays est un mélange de droit français (mâtiné de droit international pour les grandes questions) et de charia musulmane, pour des raisons d’accommodement avec la modernité et les traditions auxquelles les populations des trois pays restent très attachées, de nos jours encore, même chez les jeunes générations. Donc, forcément, concernant l’enfance, les lois appliquées sont inspirées de ces trois sources.
– au-delà des questions de droit au sens strict, la France continue à avoir une grande influence sur l’évolution des comportements, du fait de la longue période coloniale, mais aussi de sa proximité géographique, et donc des échanges en termes d’humains (malgré les restrictions administratives pour les visas), de commerce, de la langue, largement répandue dans les trois pays et surtout de la forte présence d’immigrés d’origine maghrébine en France. Qui dit immigrés dit allers-retours fréquents entre la France et le Maghreb : les immigrés rentrent généralement au moins pour les vacances ; leurs familles viennent en France pour de courts séjours, soit pour des vacances, soit pour y faire des études concernant les jeunes, ou tout simplement faire des achats ou tisser des relations d’affaires.
L’éducation de l’enfant avec son volet punitif éventuel va donc dépendre de tous ces facteurs : règles religieuses et traditions locales, règles administratives et judiciaires, influences extérieures, dont notamment celle de la France mais aussi en provenance parfois du Moyen-Orient ou même d’Asie mineure du fait de la propagation d’une certaine version de l’Islam (radical) et des modes et comportements qui vont avec…
Que ce soit en milieux populaires ou au sein des classes aisés, on retrouve ces facteurs à des degrés différents. Dans les milieux défavorisés, citadins, semi-citadins et surtout ruraux pauvres, les châtiments corporels – osons le dire – existent. Certes, souvent modérés et sujets à disputes entre l’époux et son épouse. Là où le père voit faute, la mère n’est pas d’accord et vice-versa. Généralement, le père porte la main sur les garçons et n’ose pas trop toucher aux filles. En revanche, la mère peut se permettre de corriger garçons et filles avec une sévérité proportionnelle à ce qu’elle juge comme faute grave, moyenne ou petite bêtise.
En milieux plus aisés, les « corrections » physiques existent aussi, mais sur un mode plus léger, que cela vienne de la mère ou du père. Signalons que dans les deux milieux, il y a un personnage qui a aussi autorité et donc droit de punir y compris les enfants. Il s’agit du frère aîné, avec l’accord, voire les encouragements des parents.
L’influence de la France à travers les échanges « présentiels » (visite au bled) ou virtuels grâce aux réseaux sociaux changent aussi la donne. Entre jeunes mineurs nés au sein de l’immigration et ceux restés au bled, les échanges sont fréquents entre frères, cousins, amis, « amis d’amis » grâce aux visites réciproques, mais aussi par les réseaux. Résultat : les libertés certes relatives dont bénéficient incontestablement les jeunes Français d’origine immigrés déteignent sur leur « cousins » du bled qui les prennent comme témoins pour contester certaines pratiques restrictives ou punitives. Pour être plus clair, ça donne quelque chose comme : « l’été dernier, mon cousin venu de France a fait ci ou ça, ses parents n’ont rien dit… Alors pourquoi pas moi ? ».
Dans l’institution scolaire, bien entendu, tout châtiment corporel de la part du maître, de la maîtresse ou de tout autre personnel de l’établissement est strictement interdit, comme cela est le cas en France. Cela n’empêche pas le fait de se produire notamment dans des écoles de zones rurales plus ou moins délaissées par les pouvoirs et où des maîtres sous-payés, avec des classes surchargées finissent, faute d’autres solutions, par rapport à des enfants « durs » à utiliser la force physique en cas de débordements excessifs.

Le poids de la démographie

Le fait est que dans les trois religions monothéistes, que cela soit dit explicitement, de manière indirecte ou induit par les exégètes, le principe est le même. C’est Dieu qui donne la vie et concernant les animaux et les humains surtout, ce « miracle » se produit par le biais de la procréation, dans le cadre légal du mariage.
Dans la Bible, (Genèse : 1), on peut lire : » Dieu les bénit, et Dieu leur dit: Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l’assujettissez; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre. ».
Dans le Coran, » c’est Dieu qui pourvoit à leurs besoins », c’est-à-dire ceux des enfants : Sourate XII, Verset 31. Dans un hadîth attribué au Prophète comme on l’a vu au début, toute naissance est considérée comme une « hassana », aumône, acte de Bien, donc à encourager…
Qui dit procréation, dit fornication, là encore selon des règles propres à chacune des religions. A forniquer, (on préfère le mot Arabe « nikâh » qui signifie à la fois contracter mariage et avoir des relations sexuelles licites), c’est donc donner la vie à des enfants et en somme, remplir une règle voulue par le divin : peupler la terre. D’où des familles nombreuses et la fierté des parents avec le sentiment du devoir accompli et d’être en règle avec la volonté divine et celle du Prophète.
Ajoutons à cela que dans les premières périodes d’expansion de l’Islam,, il fallait des guerriers, une armée de plus en plus puissante et nombreuse. Les versets coraniques et les hadîths encourageant la procréation ne pouvaient donc qu’être interprétés, propagés par les Oulémas (théologiens) de l’époque dans un sens favorable à la multiplication des naissances afin de garantir à la « Oumma » (nation musulmane) naissante, le plus grand nombres de fidèles et de défenseurs…

Tout ceci, les exigences religieuses, justifiées ou non par le texte coranique, celles dictées par nécessités de la période des conquêtes a eu pour résultat une croissance démographique très forte, constante tout au long de l’histoire et qui s’est accélérée depuis l’accession à l’indépendance des trois pays, leur entrée dans la modernité et le développement économique même si ce dernier facteur ne se déroule pas sans difficultés, retards et en entraînant d’autres chamboulements au niveau de l’organisation de la société, la répartition des richesses et l’apparition de nouvelles inégalités.
Or, il s’avère que cette croissance démographique très forte, excédant largement le rythme de développement réel de chaque pays et entraînant de nombreux problèmes, notamment en matière de logement a commencé à ralentir contre toute prévision. Nous allons voir au moins quelles sont les véritables raisons.
Les spécialistes appellent ce retournement, ou plutôt cette modification de la courbe de croissance « seconde phase de la transition démographique au Maghreb ». Après la première, qui a suivi les indépendances, avec une chute importante de la mortalité infantile du fait de l’amélioration constantes des conditions de vie,y compris dans le domaine des soins et de la nutrition. Cet engagement dans une nouvelle phase soulève donc nombre d’interrogations.
En l’espace de quelques 25ans, tout le paysage démographique du Maghreb s’est modifié. Les femmes font trois fois moins d’enfants que leur mères, l’espérance de vie à la naissance a augmenté d’environ 20 ans, l’âge moyen au premier mariage des femmes est proche de la trentaine, notamment en milieu urbain, et la mortalité, non seulement infantile, mais aussi celle des adultes a considérablement baissé. La durée de vie moyenne des individus a aussi augmenté du fait de l’amélioration des conditions de vie et ne dépend plus comme avant de la santé de chacun selon sa constitution.
Rappelons que longtemps, au Maghreb et notamment durant la période coloniale, la vie et la longévité des individus étaient déterminés par ce que l’on appelle la « sélection naturelle ». Les enfants nés avec une faible constitution ou des déficiences physiques chroniques, finissaient par être emportés, notamment par les nombreuses épidémies qui sévissaient à l’époque. Celles et ceux ayant survécu, selon leur niveau et qualité de vie avaient une espérance de vie en moyenne d’une soixantaine d’année ; soixante dix et plus pour les plus robustes.
Ce changement, ce passage à une nouvelle phase avec une baisse notable des naissances est-il identique au phénomène de la baisse de la fécondité dans les pays occidentaux au vu du taux d’activité des femmes, leur niveau d’instruction, les conditions de logement et de transports, etc.) ou correspondent-ils à des changements plus spécifiques propres aux mécanismes de fonctionnement des sociétés maghrébines ?
D’après une étude effectuée par l’INED, Institut National d’Etudes Démographiques algérien (3 et 4), à partir des années 1970, on assiste au début de la baisse des taux de natalité. Mais, le rythme d’accroissement de la population s’est maintenu à un niveau élevé (supérieur à 3 %) en raison de la baisse plus rapide des taux de mortalité (plus de 6 % par an), due notamment à l’amélioration des conditions de vie comme on l’a vu, mais aussi à la mise en œuvre du programme de la « médecine gratuite ». Durant cette dernière période, les taux de mortalité générale ont été réduits de près de deux tiers en l’espace de 20 ans, passant de 17 ‰ en 1971 à 6 % à la fin des années 1980.
En plus de la baisse de la mortalité générale, d’autres indicateurs permettent également de mesurer le progrès de la santé en Algérie et au Maghreb en général. L’indicateur le plus intéressant est sans doute l’espérance de vie à la naissance. Les progrès dans ce domaine ne laissent pas d’ambiguïté sur l’état sanitaire de cette région. En l’espace de 35 ans, les trois pays du Maghreb ont connu un gain d’espérance de vie de plus d’environ 20 ans, aussi bien pour les femmes que les hommes. Les gains au cours des vingt dernières années résultent essentiellement de la baisse de la mortalité infantile.
C’est la Tunisie qui enregistre les progrès les plus importants. En l’espace de 35 ans, le taux de mortalité infantile y a été divisé par plus de 5 contre 2.7 en Algérie et au Maroc. Depuis le début des années 1990, le rythme de la mortalité infantile a diminué.

Conclusion :

Par conséquent, l’alarmisme concernant les populations des pays du Maghreb et leur pseudo démographie galopante, utilisé en France par certains milieux et médias, pour créer un sentiment de crainte devant une « submersion » du pays par une immigration incontrôlable n’a pas de justification démographique, mise à part la forte mobilité des populations en tenant compte des restrictions administratives exercées des deux côtés de la méditérrannée, d’ailleurs. On peut réduire le nombre des maghrébins venant rendre visite à leurs familles en France, mais on ne peut l’interdire. Pas plus qu’on ne peut refuser aux hommes d’affaires maghrébins de se rendre en France dans le cadre de leur travail. Ou aux étudiants d’obtenir des bourses pour venir continuer leurs études en France.
D’ailleurs ces derniers préfèrent d’autres destinations telles que le Canada, la Belgique ou la Grande Bretagne…

Bibliographie :

(1) Bayram A., La naissance à Tunis dans les milieux de la bourgeoisie traditionnelle, dans Cahiers des arts et traditions populaires (Tunis), 1971,
(2) Malek Chebel : L’Imaginaire arabo-musulman, PUF, 1993
(3) Z.Ouadah-Bedidi et J.Vallin : Maghreb : la chute irrésistible de la fécondité », in Population et sociétés. INED, Algérie, 2000.
(4) Kamel Kateb et Zahia Ouadah-Bedidi. Chercheurq à l’Institut national d’études démographiques (INED). Algérie. L’actualité démographique du Maghreb. Eduscol