La circoncision (Al kh’tâna) dans la culture Maghrébine
Sommaire
La circoncision : un peu d’histoire
La circoncision (1) ou péritomie en langue médicale est une opération chirurgicale qui consiste à sectionner le prépuce chez le jeune garçon. Elle est pratiquée dans toutes les couches sociales du monde arabo-islamique.
De fait, et en dépit des croyances populaires, cette pratique observée dans pratiquement toutes les régions au sud de la méditerranée est antérieure à l’Islam.
Les Arabes la pratiquaient bien avant l’arrivée de l’Islam, de même que les Égyptiens, les populations au nord de la péninsule arabique (ce que l’on appelait le Croissant Fertile et qu’on nomme aujourd’hui Moyen-Orient, les Égyptiens, y compris les Pharaons), et fort probablement les Berbères…
Elle est pratiquée également par les juifs dont la religion est bien antérieure à l’Islam. Sa dimension religieuse dans le judaïsme est plus marquée que dans toute autre religion, y compris l’Islam. En effet, l’Islam n’a fait que reconduire une pratique préexistante, sans apporter aucun changement ni du point de vue de la forme ni du point de vue du contenu.
Il est important de savoir que le Coran ne mentionne nulle part la circoncision et donc encore moins l’obligation de cette pratique. Elle s’est généralisée et étendue dans tout le monde arabo-musulman assez tardivement, notamment grâce au pèlerinage à la Mecque lorsque les musulmans non arabes venus d’autres contrées (Asie, Afrique…) ont dû côtoyer leurs coreligionnaires arabes. L’obligation de la circoncision chez les musulmans est venue très tardivement (environ deux siècle après la mort du Prophète), et devient définitivement une condition d’islamité.
L’imam al Shafi’i, chef de file d’une des quatre écoles théologiques de l’Islam sunnite (2),
considère que la circoncision est obligatoire pour tous les musulmans tandis que les trois autres grands exégètes ne font que la recommander (sunna , tradition prophétique) de manière assez insistante tout de même. Pourtant, les musulmans se sentent obligés à circoncire leurs progénitures mâles bien avant qu’ils aient atteints l’âge adulte, généralement vers trois ou quatre ans. En effet, la circoncision est tenue par les musulmans comme une mesure privilégiée, un acte de conformité à l’esprit du croyant plus qu’à la lettre du texte sacré : le Coran.
En fonction de l’ère géographique, du contexte social et culturel dans lequel elle prend racine, elle répond à des attentes multiples : esthétiques, hygiène, rite, confirmation sociale, intégration dans un milieu, sensualité… En fait n’étant pas une obligation coranique clairement formulée, on s’arrange par toutes sortes d’arguments pour la justifier en mettant en avant surtout, sinon exclusivement ses avantages.
La circoncision : rituels, règles et formalités
En réalité, au-delà des arguments avancés, notamment la dimension hygiénique, elle permet surtout une intégration à la communauté des croyants. C’est une sorte de « sceau », un marquage indélébile qui poursuivra l’individu toute sa vie, lui rappelant à chaque instant qu’il « appartient » à la communauté islamique, à la grande « Oumma » de l’Islam (3).
Dans les sociétés traditionnelles divisées en groupes d’âge, les rites de passage favorisent la transition au monde adulte. Ces rituels donnent lieu à des épreuves corporelles ou morales particulièrement exigeantes. Ils se déroulent sous la supervision des aînés et assurent la transmission des règles de la vie et consacrent les rôles sexuels et sociaux En cela, elle joue le même rôle que d’autres rites, à travers des marques précises (tatouages, scarifications, parures…). La circoncision se révèle être un véritable rite de passage et d’intégration.
De nombreux spécialistes s’accordent pour dire que la circoncision se déroule en trois phases :
– une phase de séparation d’avec le groupe social se traduisant par une vie recluse sous haute protection maternelle. Le jeune enfant vit quasi exclusivement dans le monde des femmes, bien à l’abri à l’intérieur de la maison.
– une phase initiatique où l’enfant commence à être conditionné, rassuré et reçoit les fameux arguments favorables sensés diminuer sa crainte, voire lui présenter l’épreuve comme banale et pourquoi pas, désirable.
– la phase « post-opération » qui permet à l’enfant d’entrer « dignement » dans le monde – masculin – des adultes, où désormais il devient à une participation effective au sein des activités de la communauté. La dernière étape se définit donc comme la participation active du jeune garçon au monde « des hommes » et est séparé définitivement du monde des femmes. Le jeune garçon ne pourra plus accompagner ses jeunes sœurs au hammam ou garder intacte la relation fraternelle ou amicale qu’il entretenait avec ses cousines par exemple.
Dès lors, la circoncision prend des allures symboliques très importantes pour le jeune garçon qui se voit désormais détenir un pouvoir considérable lorsqu’il s’agit de donner corps aux représentations patriarcales de la virilité, de la famille, du nom (identification collective), du sexe et de la nation d’appartenance. La circoncision touche d’ailleurs un organe bien particulier : celui qui est en lien avec l’acte de procréer.
La circoncision, qu’elle soit pratiquée en France ou au Maghreb ne semble pas échapper à ce schéma. Mais en En France, des différences substantielles, au moins au niveau formel apparaissent : le jour de la circoncision, le garçon est isolé dans sa chambre en attendant celui qui viendra pratiquer l’acte chirurgical. La circoncision se passe dans une pièce, réservée aux seuls hommes de la maison (père, oncles, grand-père) et en principe interdite aux femmes.
Mais en France, les femmes les plus courageuses participent à la circoncision de leurs fils. Cependant, la plupart d’entre elles préfèrent attendre qu’elle se termine afin de ne pas visualiser la souffrance de leur progéniture.
Par ailleurs, en France comme dans les pays du Maghreb, cette opération se pratique de plus en plus dans des hôpitaux ou des cabinets médicaux privés, où les parents ont une meilleure garantie en matière de professionnalisme, d’hygiène et de soins appropriés.
Au Maghreb, et en milieu rural ou semi-rural, la cérémonie peut avoir lieu à l’extérieur, non loin de la maison, afin de permettre au plus grands nombre des membres de la famille, des voisins et des amis d’y assister et surtout de participer. Par leur présence en signe de solidarité mais aussi en donnant leur obole afin d’aider la famille du jeune circoncis à faire face aux frais de la fête. Car il s’agit bien d’une fête ! La scène à l’air même un peu cocasse et mérite d’être décrite. L’enfant est assis sur les genoux de son grand-père de préférence ou ceux de son père ou d’un de ses oncles à défaut. Il est tout nu sous sa djellaba blanche et porte une chéchia ou un tarbouche rouge sur la tête. La veille , on a pris soin de lui mettre une petite tache de henné sur la main, sensée le protéger… Un grand drap blanc est étendu sur ses genoux, tenu aux quatre bouts par des membres de la famille. Le « circonciseur » se faufile parmi la foule, glisse sous le drap et accompli l’acte. Pendant ce temps, l’assistance, composée uniquement d’hommes lance des encouragements et surtout une pluie de pièces d’argent et de billets qui tombent sous les yeux écarquillés du garçon ; de quoi lui faire oublier le choc de l’opération. C’est le moment que choisissent aussi les femmes, tenues loin à l’écart, pour lancer leur concert de youyous.
Mais malgré tout ce charivari, toute cette mise en scène, la nature reprend souvent ses droits. Le résultat dépend au final de la nature de l’enfant, ses prédispositions physiques et psychiques quelle que soit la qualité de la préparation dont il a bénéficié avant le jour fatidique. Il y a ceux que la nature a favorisés et qui supportent très bien le déroulement de l’opération, fascinés surtout par ce trésor inattendu qui leur tombe sous les yeux, alors que d’habitude, ils ne reçoivent que peu d’argent de poche ou pas du tout. Et il y a ceux qui, pas dupes du tout, redoutant ce moment depuis des mois, finissent par craquer, hurler, libérer leur s angoisses et leurs stress par des pleurs bruyants ; attitude redoutée tant par les parents
; parce que dans l’inconscient collectif, c’est déjà là un signe de faiblesse qui n’annonce pas une bonne évolution concernant cette sacro-sainte conception de la « virilité ».
En mettant très tôt à nu le « gland », donc symboliquement en faisant déjà émerger la tête en la débarrassant du prépuce-couverture, on fait d’une pierre deux coups :
– on arrache le petit au cocon maternel, puisque physiquement désormais « virilisé », la maman ne pourra plus le traiter comme un bébé. Phénomène courant, toujours en milieux populaire : il arrive souvent qu’avant la circoncision, la maman, la tante ou la sœur, après la toilette du petit, le soulève à bout de bras et embrasse bruyamment son petit organe sans doute en hommage à la masculinité et par fierté d’avoir à s’occuper d’un « petit homme ». Que l’on se rassure : il n’y a là rien de pervers ou d’érotique. C’est tout simplement l’inconscient collectif féminin qui reconnaît « de facto » la suprématie masculine à travers cet hommage à l’organe supposé primordial pour la future vie sexuelle de l’enfant, son bonheur familial et ses capacité de procréation afin d’assurer la continuité de la lignée familiale et au-delà, celle de la « tribu » et encore plus loin celle de la communauté des musulmans, la fameuse « Oumma ».
– on fait rentrer « biologiquement » l’enfant mâle dans le monde des adultes où, à l’instar de son sexe désormais à découvert, il devra lui-même toujours garder la tête haute, avec le « Nîf marfou’ » : le nez pointé vers le haut, en signe de fierté et de courage devant les vicissitudes de la vie. Le nez : encore un symbole phallique ?
La cérémonie a beau se terminer en fête, avec généralement couscous à volonté même pour les simples passants, orchestres, chants et youyous interminables, la circoncision reste un moment marquant dans la vie du circoncis avec des conséquences importantes à la fois sur le plan du métabolisme physique, mais surtout sur celui de l’évolution psychologique.
Les conséquences physiques et psychologiques de la circoncision
Que l’enfant vive bien ou mal cet épisode charnière dans sa vie, tous les enfants partagent cependant un même ressentiment : une angoisse profonde, une peur indicible qui dépasse la simple crainte de la douleur physique que cela engendre forcément. C’est parce que en dépit des explications plus ou moins efficaces données par l’entourage, les efforts de banalisation, la valorisation des bienfaits supposés, l’enfant, dans son inconscient la confond ou l’assimile à une castration. Pour parler plus simplement, dans sa petite tête innocente, « on va lui couper le zizi » ! Ce sentiment dont on peut imaginer le degré d’anxiété engendré se double, comme on l’a vu plus haut d’un autre fait de frustration durant la période de préparation, période durant laquelle l’enfant, bien que « confiné » en milieu féminin, privé de jeux et de sortie avec ses copains, voit bien que le rapport de sa mère envers lui est en train de changer. Présence physique parfois même excessive, mais distanciation progressive au niveau du contact corporel et preuves d’affection plus réservées, plus « chiches ».
C’est dans cet intermède, le passage rapide d’une oralité généreuse et disponible à tout moment à une « génitalité » précoce sous le signe d’une angoisse de castration que se situent les deux termes d’un conflit particulièrement anxiogène. D’autant plus que l’opération subie, et malgré les allégations et les promesses d’accéder au monde des adultes, ces effets tant vantés ne deviennent effectifs que progressivement au fur et à mesure au moment où l’enfant accède à la puberté. Tout fonctionne comme si l’enfant payait le prix par anticipation, longtemps avant la jouissance sexuelle promise.
Cette angoisse ayant pour fond inconscient la peur de la castration au double sens physique et symbolique donne lieu à des symptômes physiques facilement décelables. Malek Chebel, dans son ouvrage « L’Esprit de Sérail » en détaille quelques uns. D’après lui, les réactions pathologiques apparaissent deux ou trois jours avant l’opération :
– les données sensorielles s’émoussent, avec une diminution considérable de la concentration
– apparition d’états fiévreux avec leur cortège de symptômes connus : fortes sudations, accélération du pouls, rougeurs localisées sur certaines parties du corps dont le visage
– pleurs abondants, spasmodiques, incontrôlés et nerveux.
Nous ajouterons pour notre part des cauchemars fréquents, liés à l’acte de circoncision avec parfois des visions explicites et d’autres fois des scènes effrayantes qui apparemment n’ont rien à voir mais qui sont en fait liées à la crainte de perdre son pénis.
Conséquences post-traumatiques de la circoncision
Il faut d’abord dire que le sujet, fort sensible, pour ne pas dire tabou est relativement peu abordé dans les ouvrages et les travaux de recherches spécialisés en sexologie. Pour la raison simple que les « patients » ou disons les gens souffrant de troubles dus à cet épisode important de la vie concerne au premier chef des populations de confession musulmane ou juive. C’est-à-dire des cultures où le « fait sexuel » en lui-même reste tabou ou du moins soumis à une forte inhibition de la parole, même face à un médecin ou un psychologue.
Pourtant, les rares recherches effectuées dans le domaine révèlent que la circoncision est génératrice de nombre d’inhibitions à caractère sexuel qui surviennent à l’âge adulte, toutes de nature névrotiques, en lien avec l’appareil génital féminin ou du moins sa représentation fantasmatique en tant qu’élément anxiogène (la peur inconsciente du « vagin denté », par exemple).
Dans les cas où la névrose est évitée, d’autres troubles peuvent « exploser » sous diverses formes, tardivement : peurs irrationnelles et immotivées en apparences, troubles affectifs, impuissance lors de la nuit de noces, éjaculations précoces, qui ne sont de la part de certains spécialistes que des formes atténuées d’impuissance.
Toujours d’après les spécialistes, il est probable que de nombreuses manifestations réactionnelles de l’homme maghrébin, de l’agressivité mineure à l’égard de ses sœurs jusqu’aux conduites ostentatoires pour ne pas dire exhibitionnistes à caractère phallique les plus sommaires (sentiment d’hypervirilité, de jalousie, de narcissisme…) soient à classer dans la liste des pathologies dues à la péritomie. Et effectivement, sans être spécialiste, on peut voir là une forme régressive due à la période précirconcisionnelle où l’enfant était effectivement « roi », tout puissant pouvant se permettre plein de choses et même transgresser des règles quasi sacrées et se faire pardonner l’instant d’après.
Une femme musulmane peut-elle épouser un non circoncis ?
Il y a déjà divergence concernant l’âge idéal de la circoncision. De la naissance à deux ans pour certains, jusqu’à dix ans pour d’autres, voire l’âge adulte pour les convertis. Concernant ces derniers, d’aucuns disent que la circoncision n’est pas une obligation pendant que d’autres estiment qu’il est de leur devoir de se circoncire.
La circoncision, qui n’est donc pas coranique comme nous l’avons vu est devenue « canonique » (une règle de la charia, loi islamique) tardivement et les quatre grandes écoles de l’Islam sunnite, à travers leurs prestigieux fondateurs, ne sont pas d’accord totalement sur la question ; ni sur le plan du fond, ni sur celui de la forme (âge, modalités etc…).
Résultat, concernant le mariage d’un homme non circoncis avec une femme musulmane, un « flottement » juridique et des avis contradictoires.
Au final, c’est le pragmatisme et le réalisme qui l’emportent sur les aspects « doctrinaires » ou juridiques.
Pour résumer, d’après les enquêtes que nous avons pu consulter (là encore : rareté, témoignages sous anonymat, réponses mitigées, vagues, ou à la sincérité douteuse…) :
– les femmes vivant au Maghreb sont à peu près unanimes dans leurs réponses concernant l’éventualité d’un mariage avec un non musulman. Elles se divisent en deux catégories : il y a celles qui exigent la « totale », c’est-à-dire une conversion effective et pas seulement de façade à l’Islam en plus d’une circoncision, quel que soit l’âge du prétendant. Et il y a celles (c’est une surprise !) qui exigent une conversion à l’Islam mais se disent pas « très regardantes » sur la pratique réelle des rites considérés comme obligatoires (prière, jeun du Ramadan, etc…). Ces dernières exigent aussi la circoncision, mais pour ajouter aussitôt : « c’est plus par rapport à la famille, aux gens ». Bref le fameux « qu’en dira-t-on ».
Signalons qu’au final, ces femmes, sous pression familiale ont rarement le dernier mot quant à leurs choix et qu’au final, c’est presque toujours la famille qui tranche, si l’on ose dire.
– chez les femmes vivant en France, donc en majorité Françaises d’origine maghrébine, c’est un peu plus compliqué. Parmi les personnes interrogées, les plus jeunes affirment d’emblée qu’elles sont prêtes à épouser « un Français de souche » non musulman et non circoncis à condition qu’’il « sache se conduire » avec les parents. On comprend par là, que le garçon devra faire des concessions au moins minimes dans ses relations avec les parents de la fille. Lesquelles ? Les réponse sont souvent évasives : « par exemple qu’il ne prenne pas d’alcool devant eux, qu’il ne mange pas de porc, et même, qu’il n’en parle même pas, jamais… ».
Concernant la circoncision, elles avouent : »moi, je m’en fou un peu… Je voudrais bien, mais s’il refuse, je ne lui imposerai pas ». Mais là encore, elles omettent de dire que dans la plupart des cas, c’est quand même l’avis des parents qui prévaut.
– enfin, signalons qu’un nombre indéterminé de non musulmans compte parmi les circoncis pour raisons médicales. Le phimosis est une maladie bien réelle que seule la péritomie peut régler. Il semblerait que certains, dans ce cas font valoir cette « circoncision involontaire » histoire de gagner quelques points en matière de drague…
Notes :
(1) Chebel Malek, Histoire de la circoncision : des origines à nos jours, édition Balland, 1992
L’Esprit de Sérail. Lieu Commun. 1988
(2) Ecoles théologiques musulmanes, voir : https://dilap.com/exegese-dans-les-ecoles-sunnites/
(3) Voir : https://dilap.com/lislam-comme-communaute-la-umma/
Bibliographie :
Aït Sabah Fatna, Les femmes dans l’inconscient musulman : désir et pouvoir, le Sycomore, Paris, 1982.
Allami Noria, Voilées, dévoilées : être femme dans le monde arabe, L’Harmattan, Paris, 1988.
Arezki Dalila, Sens et non sens de la fa mille algérienne, Publisud, 2004.
Beaumont V, Cauvin Verner C et Pouillon F, Sexe et sexua lités au Maghreb : essais d’ethnographies contemporaines, CNRS, Paris, 2010
Bessis Sophie, Belhassen Souhayr, F emmes du Ma ghreb : l’enjeu, éditions J.C Lattès, 1992.
Bouhdiba Abdelwahab, La sexualité en Islam, PUF, 2003
Bourdieu Pierre, La domination masculine, Le seuil, 1998.
Chebel Malek, Histoire de la circoncision des origines à nos jours, éditions
Balland, 1992